mercredi 1 avril 2015

Retour aux racines

Il y a exactement vingt ans, mes parents, mon petit frère et moi-même, nous nous envolions pour l'Inde.

J'ai été adoptée lorsque j'avais treize mois, mon frère quand il avait dix mois.

Depuis notre enfance, nos parents nous ont toujours parlé de notre pays d'origine. Il faut dire qu'ils ne pouvaient pas trop nous cacher notre adoption, vu que je suis particulièrement foncée, et bien que mon frère soit plus clair, il n'y avait aucun doute.

Depuis tout petits, ils nous ont expliqué d'où nous venions, pourquoi nous avions été adoptés (problèmes de stérilité), et depuis tout petits, ils nous ont toujours dit que le jour où nous serions suffisamment grands pour comprendre la démarche, ils nous emmèneraient voir notre pays de naissance.

Finalement, mes parents ayant divorcé lorsque j'avais onze ans, nous sommes partis avec mon beau-père à la place de mon père. Mais ce n'est pas plus mal, mon père n'a jamais vraiment été attiré par mon pays d'origine (mais c'est une autre histoire).

Il y a donc vingt ans, nous nous envolions de Zürich pour atterrir à Bombay, aux alentours de minuit, heure locale.

Quel dépaysement... Je n'ai malheureusement que peu de souvenirs, je n'avais que quatorze ans, et beaucoup de choses se sont passées depuis. J'avoue que j'aimerais beaucoup y retourner avec la maturité que j'ai maintenant. C'est un projet que j'ai, pour le jour où je serai dans une relation stable et durable, j'aimerais beaucoup montrer mon pays d'origine à la femme qui vieillira à mes côtés.

Bref, quel dépaysement... L'odeur déjà, qui vous prend les narines, vous laisse au bord de la nausée: mélange d'épices, d'ordures, d'encens, d'excrément, et la chaleur n'aide vraiment pas. Nous sommes arrivés vers les minuit et pourtant, il faisait aux alentours des 35°. L'écrasante humidité, également. A peine trois minutes dehors, et on sue, nos habits nous collent à la peau. Et le monde, une fourmilière... Cette ville ne dort jamais. La moitié de la population vit le jour, l'autre, la nuit.

Nous faisions tellement touristes, mes parents par leur couleur bien pâle, mon frère et moi, par nos habits, notre façon de bouger, ma façon de regarder les hommes dans les yeux.

Nous ne sommes pas restés qu'à Bombay, mais nous avons commencé  notre séjour dans cette ville car j'y suis née, et que mon frère y a été transféré. Nous avons visité l'orphelinat où nous avions fait nos premiers mois de vie (un orphelinat de Mère Teresa). Rude... De voir d'où je viens, de voir la misère, les centaines de gamins dans ces lits. Beaucoup plus de filles que de garçons, évidemment. Nous avions amené des vêtements, des médicaments, des jeux. Je me souviens avoir donné toutes mes Barbies (à quatorze ans, cela faisait bien longtemps que je ne jouais plus avec, de plus, ça n'a jamais été mes jouets préférés, moi, j'étais Playmobil...).

Après Bombay, nous sommes descendu sur Valiv, visiter une maison qui recueille des enfants qui ont encore leurs parents mais qui ne peuvent plus s'en occuper. Mes parents parrainaient une petite fille là-bas, nous avons pu la rencontrer, lui donner des habits, des jouets.

Nous nous sommes ensuite envolés pour le Rajasthan. Et nous avons fait un tour en voiture: New-Dehli-Jaipur-Amber-Agra. A Dehli, nous nous sommes arrêtés à l'orphelinat, pour donner des habits et des médicaments. Lors de notre départ de Zürich, nous avions neuf valises. Une seule était pour nous.... Nous avons vu les richesses architecturales de ce pays, des splendeurs, tant les abandonnés (comme Fatehpur Sikri) que ceux qui restent encore debout (le Taj Mahal, le fort d'Amber).

La dernière semaine, nous voulions décompresser un peu, nous sommes restés quelques jours à Goa. Manque de chance, la lune n'était pas avec nous et l'océan était déchainé. Pas d'eaux claires et calmes. Mais des éléphants sur la plage, et des rencontres incroyables.

Il y avait, chez les Indiens, une hospitalité incroyable. Nous avons eu la chance d'être pris en charge par deux locaux, tant à Bombay que dans le Rajasthan, et nous avons pu nous mêler à la population. Beaucoup de curiosité de leur part, ils voulaient savoir si mon frère et moi allions à l'école. Ils imaginaient la Suisse comme un pays où tout le monde est riche. Nous n'avons pas tellement rencontré de gens de la haute classe, d'où cette curiosité et cette ignorance de nos coutumes.

J'ai aimé ce voyage, j'ai aimé voir d'où je viens, j'ai aimé voir la richesse de mon pays d'origine, mais j'ai également souffert de voir et sentir sa pauvreté, ses trottoirs bondés de gens qui y vivent, des grappes de gamins qui nous entourent en mendiant.

Et j'ai souffert de ne pas savoir. Pas savoir si j'avais croisé quelqu'un de ma famille biologique, ma mère, mon père (bien que je ne suis pas sûre que ma mère biologique sache qui il est), des frères, des sœurs. J'aime mon frère de tout mon cœur, et quiconque dira qu'il n'est pas mon frère risque de se faire méchamment griffer. Cependant, comme avec le reste de ma famille, je ne partage aucun lien de sang avec lui. Il y a quelques années, je suis sortie avec une fille adoptée, qui est arrivée en Suisse avec sa sœur jumelle. Je trouve ça génial, de ne pas être seule.

Je ne vois plus les choses de la même manière, j'ai grandi, mûri, mais à quatorze ans, en pleine adolescence, j'étais en colère contre beaucoup de chose, et malheureuse par principe.

Je me rendais bien compte de la chance que j'avais d'avoir été adoptée: une famille, une éducation, une égalité, etc. Mais pendant bien des années, avant ce voyage, j'en ai voulu à ma mère biologique de m'avoir laissée. J'ai été trouvée sur un trottoir, quelques heures ou quelques jours après ma naissance. Je ne sais qu'une chose: j'avais encore mon cordon ombilical attaché à moi. Je ne saurai jamais rien d'autre. J'en ai beaucoup souffert, pendant longtemps. Maintenant, ça fait simplement partie de ma vie. Je suis la femme que je suis aujourd'hui car j'ai fait la paix avec tout ça. Je me sens profondément Suisse, mais je n'oublie pas d'où je viens. Et je sais que le jour où je retournerai là-bas, l'émotion sera décuplée par rapport à il y a vingt ans.

A notre retour, notre mère nous a demandé, à mon frère et à moi, ce que nous avions ressenti. Ni l'un ni l'autre n'avons pu répondre. Mon frère et moi n'en avons jamais parlé, aujourd'hui encore, nous ignorons ce que ça a fait à l'autre. Mais comment dire à sa famille la douleur, l'émotion, l'espoir, que nous avons ressenti en étant là-bas? Ma mère est une pleureuse, vraiment, pour un rien. Comment aurais-je pu lui dire que j'aurais voulu connaître ma mère biologique?

J'ai écrit un texte, un mois après notre retour, en classe, pour une note. J'aimais beaucoup écrire à l'époque, ça s'est un peu perdu avec les années. C'est un texte pour lequel j'ai reçu une super note, et mon prof a insisté pour le lire à la classe. Après trois lignes, je me suis mise à pleurer, et mes copains de classe ont prié notre prof d'arrêter là.

Voici ce texte:

Amour naïf et innocent effleurant des ses douces mains mon cœur meurtri
Gestes tendres et intimes échangés lors de nos étreintes folles
Amour d'une inconnue partagé avec une inconnue
Amour d'une femme, d'une mère, qui lâchement m'a laissée
Ses bras accueillants et protecteurs entourant mon corps frêle
Sa bouche déposant sur mes joues des baisers doux et affectueux
Amour éternel franchissant les obstacles du temps
Amour introuvable que je cherche depuis longtemps
Amour impossible fuyant mon âme et mon cœur
Amour interdit m'éloignant de tout
Amour trop pauvre et trop loin à présent
Amour imaginaire n'existant que dans ma tête
Je t'aime maman

C'était en mai 1995, deux-trois semaines après notre retour. J'ai toujours gardé ce texte. Bien que maintenant, ce ne soit plus le même sentiment que j'ai pour ma mère biologique, elle est dans mon cœur, l'idéal que j'ai d'elle. Contrairement à certains de mes amis qui ont également été adoptés, je n'ai aucune envie de retrouver ma famille biologique. Si ma famille adoptive est dysfonctionnelle et que j'en changerais bien quelques membres, j'ai trouvé dans mes amis, la famille que je me suis choisie. De plus, retrouver ma famille biologique, c'est risquer d'être terriblement déçue. Si j'ai été abandonnée à ma naissance, c'est pour une bonne raison, je doute qu'il y aurait de la joie dans les yeux de ma mère biologique si je me pointais à sa porte après plus de trente ans. Je préfère garder mon idéal et ne pas subir de déception (surtout que je l'ai vue, cette déception, chez quelques-uns de mes amis adoptés qui ont retrouvé leurs familles biologiques)

2 commentaires:

  1. Je trouve que ta maman et ton beau-père ont bien fait les choses, ne laissant traîner aucun doute et surtout en maintenant cette parole de vous y amener un jour.

    C'est clair que dans ta vie il manque un chaînon, le premier, celui qui te relie à la vie, mais tu as su aller de l'avant et grandir avec une force qui est tienne. J'admire!

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  2. Merci pour ce commentaire, il me touche, j'ignore si j'ai autant de force que tu le penses, mais je ne peux renier d'où je viens. Par contre, en ce qui concerne ma mère, oui, elle a fait les choses juste, cette fois-là. Malheureusement, ça n'a pas toujours été le cas, mais ce sera pour un autre article.

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