vendredi 26 janvier 2024

Histoire d'argent

 Les derniers préparatifs sont faits, nos visas sont ok, mon dernier vaccin a été fait cet après-midi. Fin prête pour le voyage.

Enfin, si je laisse de côté l'anxiété qui monte et qui descend. Ces dernières nuits ont été pénible, impossible de m'endormir avant 3-4 heures du matin. Une chance que je ne travaille pas cette semaine. Mais il faut que je retrouve un rythme viable sinon, je vais morfler la semaine prochaine. Et je ne veux pas mettre ma place en péril, j'ai besoin de ce job afin de rembourser ma copine. Elle m'a avancé l'argent pour ces vacances, ça va me prendre des mois pour réussir à tout lui rendre.

Je culpabilisais beaucoup par rapport à ça, et il y a deux mois, je pense, j'ai appris qu'elle n'était pas dans le besoin. Alors non, elle n'est pas milliardaire, loin de là. Mais elle a pas mal de côté, notamment grâce à un héritage touché lors du décès de son père, il y a 12 ans. Ce n'est pas une femme dépensière, elle fait très attention à son argent.

Ce trait de caractère chez elle est très paradoxal, car elle m'avance sans soucis des milliers de francs pour pouvoir faire ce voyage ensemble, sans que ça ne la dérange le moins du monde, mais en revanche, quand je lui ai parlé de mon désir d'enchérir pour une place en Business, afin d'optimiser au mieux mon confort pour éviter le plus possible les attaques de panique dans l'avion, elle a eu une réaction plus que surprenante.

Croyant qu'on était obligée de faire une offre pour nos deux billets, elle n'était pas très tentée. Je lui dis que si on réussit à avoir une place en Business, je lui rembourserai son billet aussi, puisque c'est pour mon confort et non son envie. Elle me dit que ça la met mal à l'aise, et on laisse la conversation là.

Quand je me réveille dimanche matin, je suis seule dans le lit. Je me lève et la voit allongée sur le divan, dos tourné, en train de regarder sa tablette. Je m'approche d'elle, lui dis bonjour et m'allonge derrière elle en la serrant contre moi. Et je me rends compte que quelque chose ne va pas, elle est tendue, sa voix est étrange. Et je vois des larmes dans ses yeux. Je me dis que quelque chose est arrivé à quelqu'un de sa famille, sa mère est assez âgée, c'est à elle que je pense tout de suite.

Que nenni. Elle paniquait à l'idée de devoir dépenser 1500 francs de plus. Argent que je lui aurais remboursé, à terme. Elle me dit qu'elle s'inquiète pour sa retraite, que je sais qu'elle fait hyper attention à l'argent, qu'elle n'a pas cotisé beaucoup d'années en Suisse (ça fait 7 ans qu'elle vit ici), qu'elle ne veut pas être dans le besoin plus tard. Et elle me dit qu'elle se sent encore plus mal de me dire tout ça, alors que je vis dans la précarité. Ou du moins, au seuil de pauvreté. Et je me sens toute bête parce que je ne sais pas comment réagir. Je me contente d'abord de la serrer fort. Puis je lui fais remarquer qu'elle a un bon salaire maintenant, qu'elle a encore en tout cas 16 ans à cotiser, si on ne nous arnaque pas à nouveau avec l'âge de la retraite, et que surtout, si vraiment elle venait à être limite au moment de la retraite, en tant que citoyenne suisse, elle a un droit à de l'aide. Les subsides de l'assurance maladie, les prestations complémentaires, etc.

Je sais tout ça car je suis bénéficiaire de l'aide sociale depuis des années et des années. Et malheureusement, nous vivons dans une société où il est (très) mal vu de devoir demander de l'aide. Pour beaucoup de monde, il est plus socialement acceptable d'être dans une merde terrible, ne pas pouvoir manger à sa faim, ne pas pouvoir se racheter un jeans, plutôt que de demander de l'aide qui est un droit. Et je trouve ça tellement triste. Il n'y a aucune honte à demander de l'aide, la vie peut nous réserver bien des mauvaises surprises, nous ne pouvons pas contrôler notre avenir, alors pourquoi tant de honte et d'humiliation à dire "je ne peux pas y arriver seul-e"?

Nous avons été élevé-e-s ainsi, à ne pas faire étalage de nos problèmes, à s'en sortir seul-e, à ne pas être des assisté-e-s (tant de haine parfois, quand cet adjectif est prononcé par des gens qui jugent sans savoir). J'espère que les nouvelles générations seront différentes, et oseront demander de l'aide. On voit déjà un changement par rapport à la santé mentale, et les rendez-vous avec des psy, ou des séjours dans des hôpitaux psychiatriques. Les réseaux sociaux ont été un bon outil pour relayer les témoignages des gens, et banaliser les maladies mentales et éloigner la honte et l'humiliation. Ce serait bien qu'il arrive la même chose pour les problèmes de précarité. Surtout avec cette inflation qui ne cesse de monter. 

Seulement, j'ai l'impression que dans l'imaginaire collectif, la Suisse étant un pays riche avec ses banques et ses stations de ski de luxe, il est impensable que ses habitant-e-s soient pauvres. Alors même que ces dernières semaines, des articles dans les journaux font état de la croissance de fréquentation des épiceries Caritas. Alors on s'inquiète quand même de la montée de la précarité en Suisse, mais en même temps, il ne faut surtout pas la montrer. Parfois, ce monde me fatigue.

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