mardi 6 octobre 2015

Jyoti Singh, "La fille de l'Inde"

Hier après-midi, j'ai enfin pris mon courage pour regarder un reportage diffusé la semaine passée sur la RTS1. 

C'est étrange comme je peux me sentir profondément suisse, mais ne pas réussir à me détacher de mes racines, comme l'a fait mon frère. Et du coup, il m'arrive de regarder des reportages sur l'Inde, qui m'horrifient la plupart du temps.

Le reportage retraçait le drame qui s'est produit à New-Delhi, en décembre 2012, dans un bus. Une jeune femme et son compagnon sont montés dans ce bus après être sorti d'un cinéma, l'homme a été violemment battu et la femme a été violée et laissée pour morte, par six hommes.

Malgré les soins apportés à cette jeune femme, elle est décédée des suites de ses blessures. 

Lors du reportage, nous avons eu droit à des détails qui n'avaient pas été révélés à l'époque (ou du moins, je n'en ai pas le souvenir). J'ai cru que j'allais être physiquement malade, devant tant de violence, tant d'horreur.

Des six hommes, l'un s'est suicidé dans sa cellule, un autre, mineur au moment des faits, n'a été condamné qu'à trois ans de prison ferme. Pour les quatre restants, la peine de mort comme sanction. Je suis contre cette pratique, peu importe l'horreur du crime perpétré.

Ce qui m'a le plus révoltée, ce sont les propos des intervenants: un des condamnés, la femme de l'homme qui s'est suicidé, deux des avocats de la défense.

Le condamné a rejeté la faute du viol sur la femme, car "une femme respectable ne se promène pas seule dehors à 21h00".

La veuve pleure la mort de son mari, ne croit pas à sa culpabilité et dit, le plus sérieusement possible, "que vais-je devenir sans lui? Une femme ne peut pas vivre sans mari, elle vit pour son mari. J'ai un fils, que puis-je faire? Je vais être obligée de l'étrangler." 

Cette femme vit dans un bidonville, est pauvre et a été élevée dans une société patriarcale qui craint les dieux et où la femme n'a le rôle que d'un objet.

Les six hommes sont issus d'une classe pauvre, mais ça ne justifie en rien leur acte.

L'un d'eux parle de l'incident. Non, ce n'est pas un incident, ils minimisent les faits. Ils ne comprennent pas pourquoi ils sont punis, pourquoi tant d'histoires alors que le viol est monnaie courante en Inde, avec les attaques à l'acide. Quoi qu'il arrive, c'est toujours la faute de la femme. Combien d'entre elles sont répudiée (si elles ont de la chance), battues, brûlées vives ou attaquées à l'acide parce qu'elles n'ont pas donné un fils mais une fille, parce qu'elles n'ont pas ramené assez de roupies au foyer, ou simplement parce qu'elles sont femmes?

Un des avocats de la défense a clamé, lors d'une interview télévisée, que si sa fille ou sa sœur était sortie avec un inconnu, ou avait eu des relations sexuelles avec un inconnu, il l'aurait tirée jusque chez lui, l'aurait aspergée d'essence et lui aurait mis le feu. Et il s'en tient encore à sa position aujourd'hui.

Un des condamnés donne son opinion sur le jugement: d'après lui, la peine de mort va seulement encourager le meurtre. Il s'explique: jusqu'à maintenant, les hommes violaient les femmes mais les laissaient partir ensuite, car elles ne diraient rien. Maintenant, pour éviter les ennuis, ils tueront leurs victimes.

Oui, les femmes violées ne portaient pas plainte, car qui les croiraient, elles ne sont que des femmes. Et puis, ça apporterait le déshonneur et la honte sur leurs familles, et nous avons vu dernièrement ce que ça pouvait entraîner (condamner deux jeunes filles à être violées car leur frère s'était enfui avec une femme mariée).

Seulement, pour ce drame, la presse internationale s'en est mêlée, le monde a été indigné, a crié à la justice. Les femmes indiennes sont descendues dans la rue, pour manifester pour plus d'égalité, pour le respect de la femme, pour encourager les victimes à porter plainte.

Ce genre d'histoires me touche profondément, je me sens coupable d'avoir échappé à tout ça, je ressens un genre de culpabilité du survivant. Et j'ai horreur de ce sentiment. Je n'ai pas à me sentir coupable, je n'ai pas à être reconnaissante, ni redevable. Je n'ai pas demandé à être ici, je suis évidemment bien consciente de la chance que j'ai, mais je refuse d'être redevable et reconnaissante (oui, parce qu'on m'a eu dit que je devais l'être, que j'étais une ingrate si je ne l'étais pas).

J'ai eu énormément de mal à m'endormir hier soir. Pareil quand j'ai lu, plus tôt cette année, l'histoire d'une fillette enterrée vivante pas son père. Et je déteste que ça me touche autant.



PS depuis cette affaire, les plaintes pour viol ont augmenté de 35%, ce qui est génial. Mais combien de milliers d'autres cas ne seront jamais reportés? Combien de femmes ne diront jamais rien, car que faire dans un pays où la police est en partie corrompue, où les politiciens sont en partie corrompus (certains même, coupables de viol), que faire dans un pays profondément ancré dans la religion, les coutumes ancestrales, et où la femme n'est qu'un objet?

Et je n'imagine même pas au niveau mondial, le nombre de viols qui resteront impunis car les femmes n'osent pas porter plainte, par peur, par honte, alors qu'elles sont victimes. Mais comment oser aller à un poste de police quand les questions qu'on vous pose sont "Vous aviez bu? Que portiez-vous? Avez-vous flirté avec lui?"

4 commentaires:

  1. Depuis que j'ai vu ce reportage j'ai décidé que je n'irai jamais en Inde. Pas parce qu'ils violent, mais parce qu'il n'ont aucun respect pour la femme. Et ce qui a été dit dans ce reportage par les violeurs - assassins , les avocats et la famille des violeurs - assassins est à vomir.

    Ca me choque profondément qu'en 2015 nous en sommes encore à des sornette tel que "le soir une femme doit rester chez elle"

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    1. Je trouve que tu fais d'immenses amalgame. Tu ne connais pas l'Inde, tu n'y es jamais allée.

      J'y suis allée, les gens sont gentils, bienveillants, souriants, ils te donnent tout alors qu'ils n'ont rien.

      Ces violeurs ne sont qu'un pourcentage de la population.

      Tu parles que tu es profondément choquée du "le soir, une femme doit rester chez elle". Je te rappelle juste que nous parlons d'une nation qui vit et fonctionne sur des coutumes ancestrales et que ce n'est pas si simple que ça de se débarrasser de cet héritage.

      Il faut aussi savoir que c'est un peuple profondément religieux et patriarcal. Ce genre de discours est surtout entendu dans la classe pauvre et/ou rurale. Toute la nation ne pense pas que les femmes ne sont que des objets.

      Et il n'y a pas besoin d'aller aussi loin pour entendre ce genre de discours. Partout autour de nous, en Europe, aux Etats-Unis, dans des pays "civilisés", il y a aussi des hommes qui pensent qu'une femme ne doit pas sortir seule, qu'elle appartient à l'homme et qu'elle lui doit obéissance. Si je ne me trompe pas, c'est même un des commandements du mariage à l'église. Et savoir que ces hommes existent dans notre pays et dans les pays voisins ne t'empêche pas de voyager en France, en Italie, aux Etats-Unis, ou autre.

      Attention aux amalgames, ils sont dangereux, et c'est à cause d'eux, en partie, que le racisme prolifère. La façon de penser d'un pourcentage d'individus ne définit pas le reste de la nation.

      Et l'Inde est un pays splendide, ses paysages, son architecture...

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  2. Je n'ai fait aucun amalgame, je pense que tu n'as compris.....ou je me suis mla exprimée...
    J'ai assez voyagé pour savoir ce qui se passe ailleurs et venant moi même d'un pays ou justement "les femmes restent chez elles le soir" je sais de quoi je parle....

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  3. Peut-être, mais s'arrêter à un reportage, c'est un peu réducteur. Ce qu'ils ont montré ne représente pas l'avis de la majorité de la population.

    J'ai envie de partir en Inde, je ne le ferai pas tout de suite vu l'ambiance, mais je ne dis pas "jamais". Les choses bougent, évoluent. Lentement, certes, mais elles bougent quand même.

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