lundi 25 janvier 2016

Les violences conjugales dans les couples lesbiens

Je ne saurais dire si Ma a été l’amour de ma vie, ce que je sais, c’est que je l’ai aimée quand j’avais 15 ans, puis quand j’avais 22 ans. Peut-être même que je l’ai aimée quand  je l’ai rencontrée, à 12 ans.

Nous avons vécu une histoire passionnée, nous nous aimions d’une telle force que nous avons été consumées et détruites.

Lorsque nous n’étions pas ensemble, ça nous faisait mal, physiquement. Nous vivions une relation fusionnelle. Je me souviens n’avoir pas souvent vu mes amis à l’époque où nous vivions ensemble. Et clairement, ça a été une erreur, il y a un risque de se retrouver seul lorsqu’on rompt. Heureusement, mes amis ne m’en ont pas voulu.

Depuis le début que je tiens ce blog, j’avais envie et surtout besoin de parler de ce qui nous a détruit. Peu de gens sont au courant, autour de moi. Ceux qui savent m’ont bien entourée, ne m'ont pas jugée, j’ai eu de la chance.

Quand Ma et moi avons emménagé ensemble, ça faisait à peine trois mois que nous étions un couple. Je vivais alors dans un village de montagne, éloigné de la ville et des gens qu’elle connaissait. Elle m’a proposé de vivre avec elle, j’ai dit oui, j’étais tellement amoureuse, même si avec le recul, c’était une mauvaise idée. Bref. Pendant les trois premiers mois, tout s’est bien passé, elle venait chez moi presque tous les soirs, malgré le peu de temps qu’on pouvait passer ensemble (j’avais un boulot aux horaires de fous). Puis nous sommes descendues nous installer en ville, et ça allait encore assez bien, même si personne de son entourage ne devait savoir que je n’étais pas juste sa colocataire.

Un soir, elle est venue me chercher à mon travail, je le lui avais demandé. C’était une erreur, j’aurais dû garder ma vie professionnelle et ma vie privée séparée. Un de mes collègues a craqué sur elle.

Nous n’étions pas motorisée, il nous a ramené chez nous, et il lui a demandé son numéro de natel, parce qu’il avait envie de la revoir. J’étais dans la voiture, à l’arrière, quand elle a dit « pourquoi pas ? » et lui a donné son numéro.

Evidemment, j’ai grogné, évidemment, elle s’est excusée en m’assurant qu’elle ne s’intéressait pas du tout à lui.

Quelques jours plus tard, elle est rentrée du boulot avec un bouquet de roses qu’il lui avait offert. J’ai tenté de lui expliquer à quel point ça me faisait mal, d’autant que j’étais très jalouse (tout comme elle d’ailleurs) mais elle ne les a quand même pas jetées.

Les choses se sont calmées, j’ai pensé qu’il avait laissé tomber, ou qu’elle lui avait dit qu’elle avait quelqu’un dans sa vie. Le truc vraiment chiant, c’était un de mes collègues préférés, je m’entendais bien avec lui, on bossait bien ensemble, on rigolait bien.

Le 31 décembre est arrivé. Le resto où je bossais était fermé le soir par contre, ouvert le 1er janvier. Je ne pouvais pas me permettre de sortir le 31 mais j’avais proposé à Ma de sortir faire la fête avec ses amis. Elle a refusé en me disant qu’elle voulait être avec moi pour le passage dans la nouvelle année, d’autant plus que mon anniversaire est le 1er janvier. A partir de là, je lui ai demandé si ça dérangeait qu’on fasse une petite soirée sympa chez nous avec deux de mes collègues.

Malheureusement, j’étais pas au mieux de ma forme le 31 décembre, une grippe ou quelque chose comme ça. Mes deux collègues sont venus, on s’est fait un super souper, une soirée bien sympa, mais elle est restée collée à lui toute la soirée. Lors des douze coups de minuit, je n’ai pas pu l’embrasser car mes deux collègues n’étaient pas au courant que nous étions un couple, elle ne voulait pas que ça se sache, d’autant plus qu’il était là, son prétendant.

Je me suis couchée peu de temps après, fiévreuse, et me suis endormie. La porte de notre appartement a claqué, ça m’a réveillée et j’ai pensé que mes collègues étaient partis. Ma n’est pas venue dans notre chambre, j’ai supposé qu’elle rangeait un peu et je me suis levée. J’ai trouvé très étrange que la porte de la cuisine soit presque fermée. Quand je l’ai ouverte, je les ai vus, en train de s’embrasser. J’ai cru mourir à ce moment-là. Même aujourd’hui, treize ans après, je n’ai pas souvenir d’avoir eu autant mal (et j’espère franchement ne plus jamais ressentir une telle douleur). Je n’ai rien dit, je suis partie me changer et je suis sortie de chez moi. Du moins, j’ai essayé, car elle avait eu le temps de cacher mes clés et ses clés. Il est parti, il a dû comprendre. Et moi, je criais contre elle, en larmes toutes les deux, puis le premier coup est parti. Accidentel, j’ai balancé mon poing contre la porte, elle s’est interposée pour pas que je me fasse mal et elle a reçu le coup de poing. Je ne me souviens plus de la partie de son corps qui a reçu. C’était le premier coup, la nuit de la St-Sylvestre 2003/2004. Je me suis maudite pour ce geste, je me suis calmée, lui ai demandé des explications, elle m’a dit que ça ne signifiait rien, qu’il l’avait surprise, qu’elle ne s’y attendait pas. Je l’ai crue. Deux mois environ ont passé. Notre relation était houleuse du fait de ma jalousie, de sa jalousie, de mon manque de confiance en elle, mais nous nous aimions et c’était l’essentiel.

Un soir, j’ai remarqué qu’elle éteignait son natel la nuit, ce qui m’a paru tout de suite suspect, elle ne l’avait jamais fait jusque-là, elle n’avait aucune raison de le faire, malgré ma jalousie, je n’avais jamais fouillé son mail ou son natel. Je l’ai questionnée plusieurs fois, mais elle me sortait plein d’excuses bidons, je n’ai pas insisté.

Ses amis ignoraient que j’étais sa petite amie, mais mes amis la connaissaient et savaient que nous étions un couple. Un jour, certains d’entre eux m’ont dit qu’ils avaient vu Ma avec un homme, et qu’ils semblaient assez intimes. Je n’ai pas voulu les croire, mais plusieurs autres m’ont dit la même chose. Finalement, à bout, j’ai fouillé dans son natel et j’ai trouvé des dizaines de sms qu’ils s’étaient envoyés, depuis la nuit du nouvel-an. Quand je l’ai confrontée, elle m’a menti, m’a prise pour une conne même en me jurant que c’était des anciens messages (alors que la date et l’heure de l’envoi et de la réception s’affichent en bas du message). Et j’ai alors pété les plombs et nous avons basculé dans l’horreur et la destruction.

Le coup est parti, voulu cette fois-ci, rapide, et extrêmement violent malgré ma petite taille et mon manque de force physique. Toute la colère, toute la tristesse, tout le désespoir que j’avais se sont manifestés sous forme de violence, de rage. Durant trois mois, à chacun de ses mensonges, elle recevait mes coups. Tout est très flou, je me vois la battre, je me vois la soulever du sol, je me vois lui asséner des coups dans des endroits qui seront cachés par ses vêtements, je la vois tomber, et c’est comme si je n’étais pas dans ce corps qui la roue de coups, c’est comme si je m’observais et que je ne pouvais pas empêcher cet autre moi de faire du mal à l’être que j’aime le plus au monde. Dans ces moments-là, il y a beaucoup de cris, de larmes, les siens, les miens. Et quand elle tombe au sol, je me réveille, je la prends dans mes bras, je m’excuse, je prends soin d’elle, je la soigne. Elle me dit qu’elle ne m’en veut pas, qu’elle sait que ce n’est pas moi. Ces « crises » ne sont pas régulières, en fait, c’est chaque fois qu’elle me ment et que je sais qu’elle me ment que je bascule de l’autre côté. Encore aujourd’hui, je suis étonnée de ne l’avoir jamais envoyée à l’hôpital tant c’était violent. Je l’ai suppliée d’appeler la police, qu’elle porte plainte contre moi, car je ne savais pas comment m’arrêter, je tremblais de partout, j’étais loin. Tant de fois je l’ai suppliée de se défendre, d’appeler la police, et elle a toujours refusé. Je n’ai jamais su pourquoi.

Puis il y a eu cette dernière journée. Je n’en ai pas beaucoup de souvenirs, je crois que mon inconscient me refuse l’accès total à cette journée.

Elle était partie en vacances deux semaines en Toscane, avec un de ses amis de l’Eglise. Du moins, c’est ce qu’elle m’avait dit, elle m’avait dit avoir besoin de ce temps loin de moi pour savoir ce qu’elle ressentait encore pour moi. Elle m’appelait tous les deux jours pour prendre de mes nouvelles, me dire que je lui manquais. Et il s’est avéré qu’elle est en fait partie avec son amant. J’ai eu la confirmation par la mère de son amant, puis par Ma ensuite. Mais je brûle les étapes.

Le jour de son retour, je l’ai attendue en bas de chez son père, voulant la prendre sur le fait, mais elle avait été maligne, son amant l’avait déposée ailleurs et elle est arrivée à pied, surprise de me voir, mais visiblement heureuse. La veille de son départ, nous avions fait l’amour, et à son retour, bien que nous n’ayons rien fait, nous sommes restées toute la journée enlacées, à nous embrasser. Puis le lendemain, après que je lui ai dit pour la centième fois que je savais qu’elle était partie avec lui, elle a finalement avoué. J’ignore pourquoi, mais sa confirmation a été terrible pour moi. J’ai hurlé, je l’ai balancé du lit, j’ai détruit une table en verre, j’ai tout retourné dans l’appartement, elle me suivait, en criant, je l’ai projetée à travers le salon, j’ai détruit les négatifs des photos qu’elle avait prises lors de ses vacances (avec mon appareil photo qu’elle m’avait demandé de lui prêter avant de partir). Elle a eu le temps d’appeler mon frère et ma meilleure amie de l’époque qui sont arrivés très rapidement. Elle s’est enfermée dans la chambre d’amis pour que je ne puisse pas la toucher. J’ai mis toutes mes forces à essayer de défoncer la porte, heureusement, elle a tenu. Mon frère et ma meilleure amie se sont interposés, ils ont dû se mettre à deux pour me faire reculer. Ma meilleure amie m’a emmené dans sa voiture, et nous sommes parties. Je ne me souviens pas de tout, elle m’a dit, par la suite, que je tremblais et que j’écumais. Je n’en ai pas souvenir. C’était la dernière fois que je touchais Ma, la dernière fois que je lui faisais du mal.

J’en ai fait des cauchemars pendant des années après ça, je sais que c’est une des raisons pour lesquelles je suis ensuite tombée malade, et depuis ce jour, je ne me mets plus en colère. Ou alors, c’est très bref, juste le temps de quelques minutes. Je ne m’autorise pas à céder à la colère, par peur de ce que je pourrais faire, par crainte de perdre le contrôle, même si je sais, je suis persuadée, que jamais plus je ne frapperai quelqu’un. J’ai eu plusieurs copines depuis elle, certaines ont su ce que j’avais fait, je le leur disais pas soucis d’honnêteté, une seule (à ce que je sache) ne s’est pas sentie en sécurité et nous n’avons pas continué.

Il y a quelques mois, une fille m’a dit que j’étais ennuyeuse, de ne pas me lâcher, de ne pas me mettre en colère même quand certains trucs me dérangent. Oui, peut-être que je suis ennuyeuse, mais je n’ai tellement pas envie de revivre ça, de faire revivre ça à quelqu’un.

Mon psy m’a dit que je n’avais clairement pas réagi de la bonne manière au fait d’être trompée, mais que je savais me contrôler, que je n’avais pas un comportement violent autrement, et que le fait que ça ne se soit plus jamais répété tout au long des années signifies que c’était passager. Oui, très certainement, mais ça n’empêche pas que j’ai ruiné la vie de Ma, et la mienne.

Il y a quelques années, j’ai croisé Ma, pas vraiment pas hasard, mais bref. Je voulais m’excuser, et elle m’a dit qu’elle m’avait pardonné depuis longtemps, et que je devais me pardonner aussi. Je ne suis pas sûre d’avoir encore réussi.


Je voulais partager cette sombre période (courte, heureusement) de ma vie, car on parle presque exclusivement des violences faites aux femmes dans les couples hétéros mais presque pas dans les couples lesbiens.  

2 commentaires:

  1. Toi, ennuyeuse? Ca me sidère qu'on puisse te dire ça. C'est un sombre épisode que tu nous contes là. Un épisode qui te fait peur et qui te fait mal.

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  2. Oui, on m'a dit cet été que j'étais ennuyeuse, à force de ne pas me laisser aller.

    Et effectivement, très sombre période, qui ne se reproduira jamais. J'avoue n'avoir pas passé une bonne nuit. J'ai rêvé de Ma, et c'était douloureux.

    Cette période me hante nettement moins qu'il y a quelques années, mais ça reste un des pires moments de ma vie, et de la sienne, sans aucun doute.

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