mercredi 13 décembre 2017

De sang et de coeur

D'aussi loin que je me souvienne, je n'ai jamais désiré connaître l'identité de ma mère biologique.

Au cours des années, mes sentiments envers elle ont changé, évolué. Il y a eu de la colère, de l'incompréhension, de la reconnaissance. La colère n'est plus là, mais il reste de l'incompréhension.

Bien sûr que je lui suis reconnaissante de ne pas m'avoir tuée, comme ça se faisait beaucoup à l'époque, et probablement encore de nos jours, vu la malédiction que c'est d'avoir des filles, dans un pays où la dot est encore d'usage. Mais j'ai vu l'Inde. Oui, j'ai vu sa misère, mais j'ai vu aussi à quel point les gens sont débrouilles, et réussissent à vivre avec presque rien. Alors forcément, je me suis demandée pourquoi m'avoir laissée, n'y avait-il pas un moyen de me garder, de m'élever? Je redeviens alors rationnelle, et j'imagine que j'aurais pu finir voleuse, prostituée, ou mourir très jeune d'une MST. 

Et puis, il y a mes connaissances, adoptées, qui ont fait des recherches sur leurs familles biologiques, qui les ont retrouvées, qui les ont rencontrées, et qui ont découvert qu'elles avaient des frères, des sœurs, et forcément, cette question: pourquoi m'avoir abandonné/e et avoir gardé les autres?

J'ai toujours préféré ne pas savoir, imaginer ma mère biologique, lui donner d'excellentes raisons de me laisser. Car découvrir la vérité sur son abandon peut être dévastateur. Déjà que de savoir qu'on a été abandonné, c'est pas une idée des plus géniales, et ça pourri pas mal toutes nos relations. De plus, comment être sûr qu'on sera bien accueilli, 30-35 ans après. J'imagine que ce n'est jamais facile de laisser son enfant, que ces femmes doivent apprendre à vivre avec cet acte, ou préfèrent oublier.

Et il y a ma famille adoptive, qui rétrécit d'années en années. En 2017, ma tante est décédée. Je l'appréciais beaucoup, mais elle avait un fond raciste. Et en fait, toute ma famille est raciste, a des préjugés sur les ethnies, fait des "gags" débiles sur les étrangers. Et je me dis que c'est pas toujours évident d'évoluer là au milieu. Personne ne me voit comme une femme de couleur, dans ma famille, je suis leur fille, petite-fille, nièce, ils ne voient absolument pas ma couleur, aussi, personne ne comprend pourquoi je m'insurge contre leurs remarques xénophobes.

Les fêtes de fin d'années sont toujours très tendues car il y a plein de sujets à éviter si on ne veut pas que les discussions s'enveniment. Je suis toujours très perplexe au pourquoi nous avoir adoptés, mon frère et moi, alors que ma famille pratique la haine raciale. 

Ma famille a ses côtés dysfonctionnels, probablement que j'aurais pu tomber sur une famille plus ouverte, moins raciste, plus à l'écoute, moins jugeante. Mais j'aurais aussi pu tomber sur bien pire. Et peut-être que ma famille biologique aurait été pire, qui sait?

Mais dernièrement, je me suis surprise à me demander si j'avais des frères, des sœurs. Ma volonté de ne pas faire de recherches sur ma famille biologique se craquelle. Le problème, c'est que personne ne m'a amené à l'orphelinat, j'ai été trouvée. Et si j'essaie d'entamer le dialogue sur ce sujet avec ma famille adoptive, il va y avoir beaucoup de pleurs de la part de ma mère, et probablement aussi beaucoup de remarques cinglantes, énormément de culpabilisation.

Je pense que c'est une idée que je vais garder dans un coin de ma tête, pour le moment. Mais plus les années passent, plus l'envie de savoir d'où je viens fait son chemin. A méditer encore quelques mois, quelques années. 

1 commentaire:

  1. Tu m'as souvent parlé de ta peur de l'abandon, surtout en lien avec tes histoires d'amour, ce qui influence ta manière d'être - pour que tu n'aies pas à revivre une telle situation. La question du pourquoi flotte... C'est toujours ce choix difficile, est-ce mieux de rester sans savoir ou d'avoir une réponse claire?

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